Photoshop n’a pas bonne réputation dans le monde de l’édition, notamment dans  la presse féminine. Il est accusé de déformer la réalité à tel point qu’il est question de légiférer sur le sujet en rendant la mention « photo retouchée » obligatoire dès lors qu’une modification corporelle (affinement ou épaississement de la silhouette) aura été appliquée à l’image. D’où la question suivante : retoucher ses photos, est-ce forcément tricher ?

Ulysses Grant

Photo colorisée d’Ulysses Grant

C’est également la réflexion qu’un de mes stagiaires à eu lors de mon cours photo et qui m’a donné l’idée et l’envie d’écrire cet article. En effet, celui-ci m’a fait la réflexion suivante : « De toutes façon, on ne devrait jamais retoucher ses photos car c’est de la triche ».

C’est vrai que quelque part, il n’a pas tort. Quelle que soit la photo que vous regardez, qu’il s’agisse d’un photographe ou d’un amateur averti, vous pouvez être quasiment certain que la photo a été retouchée. Les nuances de couleurs dans le ciel de ce soleil couchant étaient elles réellement comme cela ? La peau de ce mannequin est-elle aussi parfaite que cela ? En l’espace de quelques années, nous sommes donc passés de photos qui ne subissaient aucun traitement (hormis le traitement chimique bien entendu) à des images qui sont systématiquement corrigées, embellies voir pire, carrément déformées.

Je précise, avant de commencer ma plaidoirie en faveur de la retouche photo (ben oui, autant vous donner mon avis sur la question tout de suite 🙂 ), que le terme « retouche photo » est à prendre dans cet article au sens de la correction, de l’amélioration, de l’embellissement et en aucun cas dans le sens du photomontage.

Pourquoi retouche t-on ses photos ?

La retouche photo existe depuis l’invention de la photographie. Même si elle est forcément plus aisée et répandue en numérique, les photographes du siècle dernier (et du précédent aussi d’ailleurs) avaient eux aussi leurs petits trucs pour donner un petit coup d’éclat à leurs images. Par exemple, ils appliquaient directement sur leurs négatifs une couche de gouache opaque qui servait de masque ou peignaient directement sur les photos pour colorer ou souligner les traits des visages. Ces pratiques étaient d’ailleurs tellement répandues que certains artisans excerçaient le métier de retoucheur (comme quoi, je fais un travail qui ne date pas d’hier 🙂 ).

Pupitre à retouches

Le pupitre à retoucher permettait à l’artisan photographe de travailler dans les meilleures conditions

Aujourd’hui, si les procédés sont bien évidemment complètement différents les raisons sont toujours les mêmes :

  1. Rendre les photos plus belles. C’est ce qui vient à l’esprit de la plupart d’entre vous lorsque l’on parle de retouche photo. Améliorer la netteté, corriger l’exposition, booster les couleurs. Ceci dans le but d’avoir le fameux effet Whaou !
  2. Rendre les photos fidèles à la réalité. C’est la seconde motivation des photographes et amateurs de belles images et c’est bien entendu sur ce point que je vais m’appuyer pour développer mon argumentaire.

Car oui, au risque de vous déplaire, sachez qu’aucun appareil ou procédé permettant de capturer une image n’est capable de rendre la stricte réalité de ce que vous voyez. On est forcément dans l’interprétation. Qu’il s’agisse d’un capteur ou d’une pellicule de film photosensible, aucun des deux n’est aussi bon que nos yeux. Pour vous le prouver, voici trois exemples.

Exemple 1 : les différences de luminosité

Vous avez certainement des photos de rue prises en pleine journée d’été, avec un soleil qui tape dur. Il y a fort à parier que soit les zones à l’ombre sont trop foncées ou que soit c’est le ciel qui est trop clair voir carrément blanc. Mais dans aucun des cas cela correspond à ce que aviez sous les yeux lorsque vous avez pris la photo.

Pourquoi une telle différence par rapport à la réalité ? Tout simplement parce que nos yeux ont une dynamique supérieure aux capteurs et aux pellicules photos. Ils sont capables de voir de grands écarts de luminosité là ou les capteurs et pellicules sont plus limités.

Malheureusement, une scène photographiée n’est que très rarement uniforme en terme de luminosité. Pour vous en convaincre faîtes le test suivant :

  • Mettez votre APN en mode priorité à l’ouverture (A ou Av selon les marques) et réglez là sur une valeur moyenne comme f 5,6.
  • Sélectionnez le mode de mesure spot. Celui-ci permet de mesurer la luminosité de la scène photographiée en ne prenant en référence que le centre de l’image. Pour info, le symbole ressemble à ceci :
    Mesure spot
  • Mettez vous en grand angle.
  • Pressez à mi-course le déclencheur. Regardez la valeur du temps de pose et mémorisez-la.
  • Déplacez à présent le centre de l’image par exemple dans le ciel et appuyez à nouveau à mi-course sur le déclencheur. La valeur du temps de pose est plus rapide que tout à l’heure tout simplement parce que le ciel est plus lumineux que l’arbre, la maison ou la personne sur laquelle vous avez fait la mesure précédemment.

Si la différence est faible, cela ne posera pas de problèmes au capteur ou à la pellicule car ils sont capables d’encaisser ces variations de luminosité. Par contre, si celle-ci est importante (comme pour l’exemple d’une rue à l’ombre avec un beau ciel bleu), il y aura immanquablement une sur exposition (zone trop claire) ou sous exposition (zone trop foncée) de certains éléments apparaissant sur l’image.

Exemple 2 : la réalité des couleurs

Là aussi, nous avons tous fait ce même constat à un moment ou un autre en regardant nos photos : les couleurs sont différentes de ce qu’elles étaient lors de la prise de vue. Ce phénomène est d’ailleurs d’autant plus marqué avec les photos prises en intérieur. Pourquoi ces différences ?

Tout simplement parce que, là encore, nos yeux sont supérieurs aux capteurs ou pellicules. En effet, eux seuls sont encore capables à ce jour de restituer la justesse des rayons lumineux qui composent la lumière visible.

Sur un APN, c’est la balance des blancs qui permet de régler la température des couleurs d’une scène photographiée. Comme la plupart d’entre nous utilisons le réglage automatique (symbolisée généralement par l’abréviation AWB pour Automatic White Balance), on peut alors se retrouver avec une dominante jaune ou bleutée (et plus rarement verte ou magenta) si le système de mesure est pris en défaut.

BalanceBlancsPersonnalisee

En haut balance des blancs personnalisée, en bas, balance des blancs automatique © Photograpix

Ce système sera d’ailleurs d’autant plus défaillant que les conditions de lumière s’éloigneront de la norme, à savoir la lumière blanche que l’on a par beau temps, quand il n’y a pas un seul nuage dans le ciel et à l’heure de midi quand le soleil est au plus haut.

Exemple 3 : l’interprétation du rendu des couleurs

La balance des blancs justement. Imaginons à présent que vous avez deux APN de marques différentes (bande de chanceux 🙂 ) et que vous prenez deux fois la même photo avec un réglage manuel de la balance des blancs identique entre les deux boitiers (pour savoir comment faire cela, je vous invite à lire l’article qui traite de ce sujet).

Et bien figurez vous que vous aurez malgré cela des photos avec un rendu de couleurs différentes. La différence sera subtile bien entendu mais elle sera réelle. Pourquoi ? Tout simplement parce que les algorithmes de traitement des images numériques sont différents d’un fabricant à l’autre. Les écrans de télévision n’ont pas le même rendu de couleur d’une marque à l’autre (il suffit d’aller dans un magasin pour s’en rendre compte). C’est strictement la même chose dans le monde de la photo.

Canon à sa propre interprétation du rendu des couleurs, Nikon à la sienne, Pentax en a une autre, etc.

Cette différence sera encore plus marquée si vous avez choisi le format JPEG pour la prise de vue. En effet, pendant le processus de traitement des données numériques par le processeur de votre APN, les images sont optimisées, retouchées, les couleurs sont retravaillées de manière à vous permettre d’avoir des images immédiatement partageables, imprimables.

C’est exactement la même chose pour les amoureux de la photo argentique et ils le savent parfaitement. Une pellicule Kodak ne produit pas le même rendu de couleur qu’une pellicule Fuji ou Agfa.

Pourquoi ne pas retoucher ses photos ?

Au vu des trois exemples précédents, il parait évident que la photo délivrée par le capteur ou la pellicule n’est qu’une interprétation de la réalité. Dès lors, on peut dire merci à la retouche photo va qui permettre de corriger ces imperfections.

Quelle photo préférez-vous ? Celle de gauche, brute de capteur ou celle de droite après correction ? © Photograpix

Quelle photo préférez-vous ? Celle de gauche, brute de capteur ou celle de droite après correction ? © Photograpix

Et, pour ceux qui restent envers et contre tout réfractaires à l’idée même d’avoir à retoucher leurs photos qu’ils se posent les questions suivantes :

  • Est ce que utiliser un flash qui est une source de lumière artificielle, c’est pas de la triche ?
  • Est ce que photographier avec un objectif grand angle qui déforme les perspectives, c’est pas de la triche ?
  • Est ce que prendre ses photos en noir et blanc alors que l’on voit le monde en couleurs, c’est pas de la triche ?
  • Est ce que mettre un temps de pose de plusieurs secondes pour faire des effets de flous créatifs que l’on ne peut pas voir, c’est pas de la triche ?
  • Est ce que choisir une grande ouverture pour créer un beau flou d’arrière plan que nous ne pouvons toujours pas voir, c’est pas de la triche ?
  • Est ce que mettre un filtre devant son objectif pour déformer encore une fois la réalité, c’est pas de la triche ?
  • Est ce que, pour ceux qui font du développement/tirage noir et blanc en laboratoire, mettre sa main ou un morceau de carton sous l’agrandisseur pour assombrir ou éclaircir certaines zones de l’image c’est pas de la triche ?

Toujours pas convaincus ? Bon et bien on continue alors avec ces questions ci :

  • Est ce que supprimer les yeux rouges qui n’ont absolument rien de naturel, c’est de la triche ?
  • Est ce que vouloir récupérer le beau ciel bleu qui était présent lors de la prise de vue c’est de la triche ?
  • Est ce que vouloir corriger les déformations, les aberrations chromatiques et la perte de netteté liées à l’objectif utilisé c’est de la triche ?
  • Est ce que vouloir corriger la balance des blancs pour obtenir un rendu plus fidèle des couleurs c’est de la triche ?
  • Etc…

Et bien ça pour moi, ce n’est pas tricher. Pourquoi ne pas utiliser les formidables outils mis à votre disposition pour reproduire le plus fidèlement possible la réalité de ce que vous avez vu ?

Conclusion

Ou s’arrête la correction d’une image ? ou commence la retouche ? Difficile à dire d’autant plus que quand on retravaille une photo on ne peut faire qu’appel à sa mémoire car on a plus la scène d’origine sous les yeux.

C’est là que situe le problème. Les logiciels ont un potentiel de traitement tellement important que du coup, certains on tendance à aller trop loin dans le travail de retouche. Comme on dit souvent : trop de retouche tue la retouche.

En ce qui me concerne, je n’aime pas les photos trop retouchées, aux couleurs artificielles ou un rendu HDR trop prononcé. Pour moi une retouche réussie, c’est une retouche qui ne se voit pas. Je suis un adepte du « juste nécessaire ».

Finalement, ce qui dérange c’est pas ce que certains appellent tricher, car tout le monde triche. Que ce soit à la prise de vue ou lors de la retouche. Non, ce qui dérange c’est mentir, c’est faire croire que ce que l’on a photographié est la réalité de ce que l’on a vu.

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